Neilien

Association d'Arts Martiaux Traditionnels

Chu Gui-Ting ( 褚桂亭 )

Maître Chu Gui-Ting (1891-1977) pratiquait déjà la boxe externe de l’Homme Ivre avant d’apprendre le Xing Yi Quan auprès des grands maîtres Li Cun-Yi et Zhang Zhao-Dong, tout en s’enrichissant des conseils d’autres figures historiques parmi lesquelles figuraient Shang Yun-Xiang, Sun Lu-Tang et Huang Bai-Nian (Huang Bo-Nian). Le Ba Gua Zhang lui fut de manière plus spécifique enseigné par le maître Jiang Yong-He. Toutefois, devant partir sur les routes en sa qualité d’escorteur pour assurer la garde d’objet précieux, ce dernier décida de confier son élève au célèbre Liang Zhen-Pu pour lui permettre d’approfondir cette discipline.

Chu Gui-Ting
Chu Gui-Ting

Ayant par ailleurs étudié le maniement de la lance auprès de Li Shu-Wen, un autre maître de renom, cette fois de Ba Ji, mais aussi de l’épée à Wu Dang grâce à Li Jing-Li, il débuta enfin son apprentissage du Tai Ji Quan auprès du grand maître Yang Shao-Hou. Rejoignant plus tard son frère Yang Chen-Fu, il fut rapidement considéré parmi ses dix meilleurs élèves et était aussi réputé comme faisant partie des « cinq tigres » qui entouraient alors le chef de file de l’école Yang.

En retour du respect et de la gratitude qu’il leur témoignait, ses maîtres, et amis avaient plaisir à lui enseigner. Aussi ses frères d’armes en étaient même venus à le surnommer le « fou du Wushu », en raison de la discipline évidemment permanente à laquelle il s’adonnait, mais aussi de jusqu’à l’impression de folie qui pouvait parfois sembler émaner de sa pratique. On citera par exemple le jour où, plutôt que d’utiliser les transports pour rejoindre d’autres pratiquants venus faire leurs adieux à l’un d’eux qui s’apprêtait à traverser la mer – en l’occurrence un autre élève de Li Cun-Yi qui lui avait transmis San He Dao parmi d’autres formes de sabre et qui se trouvait appelé pour enseigner aux Chinois du Japon -, il préféra travailler sa marche des coups de poing enchaînés de Beng Quan le long du cour de la rivière, pour finalement gagner le quai et même le pont du bateau déjà, dit-on, sur le départ .

Si son niveau d’excellence martiale valut à maître Chu d’être élevé au rang de maître d’armes de la garde présidentielle de Chiang Kaï-Shek et de bénéficier donc d’un salaire tout à fait avantageux, ses usages en matière d’hospitalité avaient quant à eux régulièrement raison de ses fins de mois. En effet, ses divers frères d’école ou autres pratiquants étaient de coutume bien accueillis ; souvent hébergés, ils dinaient ou déjeunaient en occupant jusqu’à cinq tables de huit qui supposaient l’emploi quasi journalier de trois cuisiniers. Leur hôte tenait aussi à assumer les frais de voyage de ceux qui connaissaient des difficultés, sans oublier l’aide matérielle déjà apportée à ses frères de Xing Yi dans la nécessité, s’il n’était pas déjà parvenu grâce à ses relations à leur trouver un emploi rattaché à leur domaine commun de prédilection.

Installé désormais et enseignant à Shangaï au début des années 50, il fut invité en 1963 à diriger un stage de Xing Yi d’une durée d’un an à l’occasion de la création de son Palais des Sports. Demeure encore certainement l’impression qu’il allait nous laisser dès sa première apparition : élégamment tout de noir vêtu, de son costume traditionnel du Nord jusqu’à ces chaussures, en passant par le bandeau entourant sa taille, maître Chu nous présenta les Cinq Eléments et nous offrit un Beng Quan tout en harmonie et subtilité, continu au point de nous évoquer la course d’un char ininterrompue.

Répondant avec grande amabilité aux élèves venus l’interroger pendant un moment de pause, il accepta naturellement de montrer aussi un peu de Ba Gua Zhang pour satisfaire la demande d’un membre de l’équipe locale de Wushu. Son corps reflétait alors toutes les exigences du Ba Gua Zhang traditionnel pendant qu’il accomplissait la célèbre marche en cercle, accompagnée de l’exécution de plusieurs techniques ; ainsi ses bras tels des fouets semblaient détachés du buste, comme s’il se trouvait dépourvu d’épaules, tandis que se réduisait vers son centre le cercle de ses pas, jusqu’à ce que le corps se retrouve finalement vrillé au point de se desserrer subitement pour se déployer aussitôt dans la direction opposée.

Plus tard, un autre pratiquant lui demanda de bien vouloir leur dispenser quelques conseils en matière de Tui Shou. Observant l’échange cordial de leurs mains, nous pouvions aussi alors continuer d’écouter les explications généreuses du maître dont le regard se trouvait même parfois orienté en direction des visages et oreilles attentives derrière son dos. C’est à l’un de ces instants que nous fûmes témoins d’un changement radical de son attitude : déconcertés, nous vîmes soudain son visage se transformer de manière effrayante lorsqu’il sentit le stagiaire vouloir appliquer la technique du « tirer ». Alors quelque chose sembla en effet comme émaner de l’intérieur de son corps et ses yeux sévères exprimèrent donc une férocité inattendue, l’incitant manifestement à répondre par un « presser » qui le fit reculer de deux mètres.
S’en suivit un éclat de rire et un retour à la normale immédiat de l’expression du visage ce celui qui venait de proposer une leçon à l’impudent ; ce dernier ayant donc d’abord pensé profiter d’une occasion lui permettant, pensa-t-il, de déséquilibrer l’expert en tirant son bras gauche, il se retrouvait ainsi en train de ne recouvrer que progressivement l’usage de son corps et de son esprit, puisque émergeant donc doucement du vide dans lequel il venait de se trouver plongé.
Ainsi venait de nous être démontré l’attitude qui sied au combat.

Son fils n’appréciant pas le Wushu, maître Chu put en revanche entreprendre la formation de son petit-fils, désireux pour sa part d’apprendre son art. Aussi, lors d’un cours proposé le soir sur la place du Peuple, il l’invita à l’attaquer directement en combat libre afin de rentrer dans le vif du sujet de ce chapitre de l’enseignement. Connaissant suffisamment son grand-père pour savoir qu’il ne lui ferait aucun mal et initiant donc son attaque, on aurait alors vu l’apprenti préférer aussitôt finalement battre en retraite et même prendre la fuite, tant il se trouva effrayé par un changement d’attitude qu’il n’avait jusqu’ici jamais vue, mais qui rappela à d’autres la brève transformation aperçue lors du stage.